Moins on est agile et plus on le revendique … et réciproquement

Discussion entre décideurs
 »
– alors comment ça se passe pour toi ?
– je viens de découvrir un truc top, je suis allé chercher cela aux USA. Avant, j’avais du mal à gérer ma boite, entre les clients qu’il faut relancer 10 fois pour être payé, les salariés compétents qui se barrent dès qu’on leur propose 100€ de plus ailleurs, les start up sorties de nulle part qui veulent tout bouffer, je ne savais plus où donner de la tête. Mais j’ai redressé la barre.
– ça a l’air super !
– ça s’appelle la « méthode management »
– oui oui, cette méthode c’est la planification, l’organisation, la direction et le contrôle d’une organisation afin qu’elle atteigne ses objectifs.
-intéressant ! et penses tu que cela puisse aussi m’aider ?
-bien sûr, après avoir lu deux livres de référence et suivi une formation certifiante de « master manager », tu seras prêt à appliquer la méthode : il suffira de dérouler la check list.
 »

Discussion surréaliste et absolument ridicule non ?

Pourtant, remplacez le terme « management » par celui « d’agilité »: la discussion se rapproche de choses déjà entendues !

L’expression « méthode agile » et tous ses dérivés est désormais utilisée de façon totalement désordonnée. Toute personne cherchant un job dans le secteur du « numérique » se voit obliger de répondre à la question « savez vous travailler selon la méthode agile ? » mais la majorité des personnes qui pose cette question, à fortiori s’ils sont commerciaux ou RH, sont bien en peine d’expliquer eux mêmes de façon claire et synthétique ce que cela signifie (alors il se rassurent en passant à la seconde question : êtes vous certifiés ? ).
Quand une expression devient tellement galvaudée et déformée, au point de décrédibiliser tous ceux qui l’emploient (« ah ouais, vous aussi vous faites de l’agile ? On a essayé mais ça ne marche pas chez nous .. et puis vous savez les modes, ça va, ça vient… ») , quelle réaction avoir ? Certains sont radicaux et décrètent que #Agileisdead. OK peut être,  mais après on fait quoi ? on revient au waterfall ?

Les plus grosses SSII se sont attribuées sur le tard le terme d' »agilité », poussées par le marché et non de réelles convictions. Elles font face à des difficultés  car il s’agit pour elle de chambouler leur modèle d’affaire historique et surtout transformer ce qui constitue le socle de toute entreprise  : sa culture. Elles ont du budget et sont dirigées par des gens intelligents qui savent faire du business, alors elles mettent le paquet, communiquent à tout va, publient des livres blancs, sponsorisent des conférences, organisent des-petits-déjeuner-retours-d’expérience, rajoutent l’adjectif « agile » dans toutes les propal. Un seul objectif : ne pas apparaître disrupté, convaincre le marché qu’elles sont au cœur de l’innovation. Il est intéressant par exemple de filtrer sur le mot clé « agile » les offres d’emplois publiées par les entités consulting de SSII d’importance: des dizaines d’offres sortent, parfois avec des intitulés comiques qui en disent long (par exemple « chef de projet agile/scrum master », « AMOA agile » ou pire « chef de projet MOE agile/product owner »).

A l’inverse, en faisant le même exercice sur les sites de boîtes précurseurs des « pratiques agiles » en France, de celles qui se sont créées from scratch (souvent par des gens passées au préalable par de grosses SSII) portées par une vision de « faire du logiciel autrement », de celles qui depuis plus de 10 ans envoient des speakers dans les conférences, écrivent des livres devenus des références, alimentent des blogs aux contenus très riches (je pense entre autres à OCTO, SOAT, XEBIA), le terme « agile » y apparaît très peu utilisé alors que tout ce qu’elles « font » pourrait y être relié. Ainsi, sur ses pages Notre mission Ce que nous faisons | Comment nous le faisons et Nous rejoindre, OCTO ne mentionne PAS UNE SEULE FOIS le terme »agile » alors que s’il y bien un endroit où on s’attendait à le trouver, c’est bien là. Est-ce un hasard ou un oubli ? Sûrement pas.

Alors comment savoir si un individu ou une organisation sait de quoi il parle en matière « d’agilité » ?
– Quand cette expression n’est plus utilisée !
Un indicateur parmi tant d’autres  mais qui a l’avantage d’être simple !

Economie numérique : « En France, on ne parle que de restaurer le passé… »

il faut lire cette interview, vraiment, de Nicolas Colin parue en juillet 2016 dans l’Obs

 

Le passage du fordisme au monde de l’internet provoque les mêmes tensions que la mutation économique de l’entre-deux-guerres, marquée par la montée des fascismes, estime Nicolas Colin, fondateur de la société TheFamily et spécialiste du numérique.

Nicolas Colin est coauteur du rapport Colin et Collin sur la fiscalité du numérique. Entretien.

Vous qualifiez le vote des Britanniques en faveur du Brexit de « moment Polanyi pour l’Europe ». Qu’est-ce qu’un « moment Polanyi » ?

Karl Polanyi est un économiste américain d’origine hongroise, spécialisé dans l’économie politique – c’est-à-dire les relations entre le système économique (la production et la consommation) et le système politique. Sa principale œuvre, « la Grande Transformation », est parue en 1944 aux Etats-Unis, plusieurs années après sa fuite d’Europe face à la menace nazie. Il y décrit le passage de l’économie du XIXe siècle (marquée par le système de l’étalon-or, le libre-échange et l’artisanat) au fordisme, dominé par de grandes entreprises industrielles, avec ses tensions et ses lourdes conséquences politiques : la montée du fascisme et la guerre.

Un « moment Polanyi » est une phase où l’on passe d’un paradigme économique à un autre sans avoir les bonnes institutions. C’est un moment où l’on tâtonne pour trouver une organisation acceptable, où les tensions sont très fortes entre ceux qui s’acharnent à restaurer l’ordre ancien et ceux qui réalisent que le monde a changé. On peut observer un certain nombre de signes, comme l’effondrement des institutions de l’économie internationale ou la montée du fascisme.

Comment cette grille de lecture explique-t-elle le vote britannique en faveur du Brexit ?

L’Union européenne est un pilier fondamental de l’économie fordiste de la seconde moitié du XXe siècle : elle a permis d’ancrer le libre-échange à l’échelle de tout le continent européen et de le doubler d’un dialogue politique sur les institutions (fonctionnement des marchés financiers, du marché des biens et services, de la protection sociale).

Mais aujourd’hui, dans la transition que nous vivons – celle de l’économie fordiste vers l’économie numérique –, elle ne nous protège plus. L’Union européenne est aussi impuissante face au nouveau paradigme que l’étalon-or et le libre-échange au début du XXe siècle. Elle ne peut rien face à la peur pour les emplois qui disparaissent, la peur de la précarité pour les travailleurs, la peur des plateformes comme Uber ou Amazon.

Tout cela ressemble aux inquiétudes et à la souffrance qu’infligeait la transition vers le fordisme avant qu’il ne se dote des bonnes institutions, après la Seconde Guerre mondiale. D’où le vote en faveur du Brexit.

N’est-ce pas la mondialisation plus que la révolution numérique qui provoque le désarroi des électeurs ?

La mondialisation, celle qui nous a occupés des années 1970 jusqu’en 2008, je la lis comme un effort acharné des élites du XXe siècle pour essayer de garder l’ancienne économie à flot en actionnant puissamment le levier financier. On a, par exemple, cherché à maintenir la consommation de masse, pilier de l’économie fordiste, en faisant baisser le prix des produits par la délocalisation des chaînes de production.

La crise de 2008, de ce point de vue, est un basculement : c’est le moment où tous les leviers anciens deviennent inopérants et où les entreprises comme les ménages commencent à fuir massivement l’économie fordiste pour aller vers l’économie numérique. Après cette crise, les gens se disent qu’ils ne peuvent plus rester dans le paradigme ancien. Ils s’en remettent à de nouveaux acteurs, qui permettent par exemple de partager les ressources existantes plutôt que d’être tous propriétaires (Airbnb, LeBonCoin, BlaBlaCar, Drivy).

Le phénomène Trump est-il un autre « moment Polanyi » ?

Oui, bien sûr. Toute cette tension politique, dans tous les pays du monde, rappelle ce qui s’est passé dans les années 1930. Le fascisme est apparu un peu partout au même moment, sous des formes diverses, comme une réaction uniforme de la société à l’inadaptation des institutions. Quand les individus ne sont plus couverts contre les excès de l’économie de marché, ils éprouvent la tentation du fascisme.

Le fascisme, c’est la passion de la restauration d’un ordre ancien et d’une prospérité mythique. C’est le dépassement du clivage gauche-droite. Et c’est la tentation autoritaire face aux limites apparentes des régimes démocratiques. Nous y sommes. Tout le monde rêve d’un retour aux Trente Glorieuses (voyez le slogan « Make America great again ! » de Trump).

Donald Trump est-il fasciste ?

Le clivage gauche-droite n’existe presque plus. Et un discours autoritaire s’impose de plus en plus dans le débat public, pas seulement de la part de l’extrême droite – chacun à sa manière, Nicolas Sarkozy comme Manuel Valls, entre autres, fait écho à cette « demande d’autorité » qui accompagne la montée du fascisme.

Comment définir de nouvelles institutions, plus protectrices à l’heure du numérique et de la mondialisation ?

On peut facilement écrire ou dessiner sur un papier ce que serait l’édifice institutionnel d’une économie numérique plus soutenable et inclusive. Il faut, par exemple, découpler la couverture sociale et le contrat de travail pour accompagner des parcours professionnels de plus en plus intermittents et accidentés, dans lesquels on va souvent cumuler plusieurs statuts d’emploi au même moment.

Il faut aussi mettre en place de nouveaux régimes d’assurances sociales pour couvrir des risques de plus en plus critiques dans l’économie numérique, comme celui de ne pas pouvoir se loger dans les grandes villes à un prix abordable.

Mais pour passer de l’idée sur le papier à une institution pérenne, il faut un rapport de force souvent très dur. La protection sociale, nous la devons au mouvement ouvrier. On ne parle pas d’intellectuels qui publiaient des articles et parlaient dans des conférences ni d’entrepreneurs créant de nouvelles applications, mais de militants qui se sont mobilisés, ont établi un rapport de force avec les patrons et ont tout sacrifié pour cette conquête, parfois jusqu’à leur vie.

Ce que revendiquait le mouvement ouvrier n’était pas la restauration de l’ordre ancien, mais au contraire la mise en place d’institutions nouvelles. Parce que l’économie fordiste était nouvelle, qu’elle exposait les individus à des risques inédits, il fallait innover – et, pour forcer cette innovation, il a fallu la mobilisation du mouvement ouvrier.

Cela peut être très long : entre la création des premières sociétés de secours mutuel après la Révolution française et la généralisation de la protection sociale à toute la population après la Libération, il s’est écoulé… plus d’un siècle et demi ! Voilà comment naissent les institutions : au terme d’une conquête très dure dans laquelle rien n’est acquis d’avance.

Qui sont aujourd’hui les défenseurs potentiels de ces nouvelles institutions ? Qui incarne l’équivalent numérique du mouvement ouvrier ?

L’équivalent du mouvement ouvrier et du socialisme aujourd’hui, c’est une sorte de composition hétéroclite d’entrepreneurs et d’investisseurs qui innovent, d’organisations qui prennent conscience des mutations radicales dans le monde du travail et qui, plutôt que de dire « tout le monde doit être salarié en CDI pour trente ans », essaient d’accompagner les nouveaux travailleurs : voyez Switch Collective, OuiShare, la Freelancers Union aux Etats-Unis. TheFamily suit tout cela de très près.

Dans ce mouvement pro-transformation, on trouve des gens critiques qui disent : l’économie numérique a ses excès et ses dangers, mais plutôt que d’essayer vainement de la faire entrer dans d’anciennes cases, créons de nouvelles catégories qui permettent de corriger ces excès, de les tempérer et de rendre ce modèle soutenable et inclusif.

Aux Etats-Unis, Barack Obama, qui a une proximité très grande avec la Sillicon Valley, a compris cela. Pendant huit ans, il a essayé de projeter les Américains dans le futur en leur disant : ne rêvez pas, on ne va pas recréer tous les emplois dans les usines, mais on va créer d’autres emplois, notamment dans les services à la personne et, pour cela, il faut soutenir les entreprises numériques.

En Europe, les politiques comprennent moins bien ce qui se joue, car ils n’ont pas la même proximité avec les Google, Amazon, Uber… Ils se raccrochent davantage à l’ancien modèle, en essayant de restaurer les Trente Glorieuses. Depuis trente ans, en France, les campagnes électorales ne parlent que de restaurer le passé, pas de la transformation qui vient. C’est aussi ce que font Donald Trump et Bernie Sanders.

On va vous accuser d’être le porte-parole des Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon) ou des richissimes investisseurs en capital-risque, qui ne pensent pas forcément au bien commun…

Chacun son boulot. Les entreprises créent de la valeur, qu’elles transforment en richesse et qu’elles distribuent aux différentes parties prenantes : les salariés, les actionnaires, les consommateurs. Les pouvoirs publics, eux, doivent mettre en place les institutions qui vont permettre de soutenir cette création de valeur et de mieux partager la richesse.

Aujourd’hui, il faut se méfier de deux impasses. La première consiste à dire aux entreprises comme Google : « Vous créez des problèmes, résolvez-les. » Ce n’est pas ça qui s’est passé dans l’histoire du fordisme ! Ford a imaginé la semaine de 40 heures, mais ce n’est pas lui qui a mis en place l’assurance-maladie universelle. Il a fallu pour cela un rapport de force.

La deuxième impasse serait de dire : « Nous allons régler les problèmes créés par l’économie numérique en faisant entrer les nouvelles activités numériques dans les anciennes cases prévues pour l’économie fordiste. » C’est ce qu’on fait aujourd’hui avec Uber ou Airbnb. Mais ça ne marchera pas non plus. Il faut travailler avec les acteurs de l’économie numérique pour trouver de nouveaux modes d’imposition, de nouvelles règles sociales, etc. Par exemple, il faut permettre aux chauffeurs Uber d’exercer un rapport de force avec Uber plutôt que d’avoir à se défendre contre les chauffeurs de taxi.

L’enjeu est de pouvoir dire aux grandes entreprises numériques : « Bienvenue en France, ici on a des institutions qui ont été conçues pour protéger les chauffeurs Uber, les armer dans leurs négociations avec vous, prélever les impôts sur la base de données collectées de manière régulière et systématique. » Si on accueille ces entreprises avec des institutions qui ne s’acharnent pas à restaurer l’ordre ancien, mais qui sont au contraire en phase avec leur modèle, elles se diront : « OK, ce sera plus cher d’opérer ici, mais au moins il n’y a pas de distorsion de marché et il y a de la croissance. »

La plupart des salariés travaillent toutefois encore pour l’économie traditionnelle…

C’est vrai que le numérique ne va pas faire disparaître les usines qui produisent des biens matériels. En revanche, il les repositionne dans les chaînes de valeur. Ceux qui se contentent de produire des biens n’auront, demain, qu’une part marginale de la valeur. A activité inchangée, et même à emplois inchangés, la valeur va se concentrer dans les entreprises numériques. Par exemple, quel sera le modèle des agriculteurs qui deviendront les fournisseurs d’Amazon plutôt que des groupes de distribution traditionnels qui ont grandi avec le fordisme ? Ils reprendront l’avantage seulement en se numérisant, en rapprochant la production des villes…

Veut-on interdire, verrouiller, attendre que d’autres pays s’organisent mieux que nous – ou au contraire anticiper, se former, monter dans le train ? Il faut réaliser que nous ne revivrons jamais l’âge d’or de l’économie fordiste, puisque cette économie tout entière est en train de disparaître. Il y aura peut-être un jour des classes moyennes de l’économie numérique, mais pour cela il faut d’abord faire deux choses : soutenir le développement de cette économie, puis mettre en place les institutions qui vont la rendre soutenable et inclusive.

Vous dites que, parmi les politiques, seul Emmanuel Macron semble comprendre ces sujets. Quel est son bilan en tant que ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique ?

L’élite française est particulièrement désolante : elle est malthusienne, et beaucoup de dirigeants politiques sont en fin de carrière. Ils ont acquis des réflexes dans les années 1980 et 1990 et ils sont restés bloqués là. Toute l’histoire du quinquennat de François Hollande, c’est ça : le pacte de compétitivité, ce sont des mesures dont tout le monde rêvait dans les années 1990 ; la loi Travail, quant à elle, cherche à résoudre le rapport de force entre patrons et syndicats des années 1980.

Quand les gens du numérique regardent ça, ils ne se sentent pas vraiment concernés. Ils ont l’impression qu’on solde les comptes du passé, pas que l’on prépare l’avenir. Dans le numérique, le sujet n’est pas le coût du travail et certainement pas les dispositions de la loi El Khomri, qui ne trouvent guère d’application concrète. Comment les élus ne voient-ils pas à quel point la vie de leurs électeurs a changé, que 30 millions de Français ont un compte Facebook, que 10 millions utilisent le site LeBonCoin ?

Dans ce paysage désolé, Macron sort du lot. Les entrepreneurs et les jeunes se disent : « Tiens, voilà quelqu’un qui parle du monde dans lequel je vis et pas du débat accord d’entreprise contre accord de branche. » Mais il n’est qu’un ministre parmi d’autres, de plus en plus bas dans l’ordre protocolaire du gouvernement. Il ne peut pas résoudre tous les problèmes à lui tout seul : tant que le président de la République et le Premier ministre restent tournés vers le passé, l’action d’un seul ministre ne va pas changer le destin de la France.

Les entrepreneurs sont-ils comme lui « ni à droite ni à gauche » ?

Pas moi en tout cas, je suis de gauche. Et je trouve qu’il devrait, au contraire, expliciter ce que sera le clivage gauche-droite après la révolution numérique. Malheureusement, il a opté pour un positionnement qui, à sa manière, fait le jeu du fascisme. Le fascisme, c’est l’effacement du clivage gauche-droite au nom du rétablissement de l’ordre ancien par des mesures autoritaires.

Tous ceux qui expliquent que, sous prétexte que l’économie change, il n’y a plus de clivage gauche-droite commettent une grave erreur stratégique : en l’absence de clivage, il est impossible d’établir les rapports de force qui vont permettre de mettre en place les bonnes institutions. Pour faire référence à l’histoire du fordisme, sans mouvement ouvrier (la gauche) et sans rapport de force avec les patrons (la droite), on n’aurait jamais mis en place la protection sociale !

Comment définissez-vous la gauche dans ce contexte ?

La gauche, c’est la redistribution permanente des opportunités et la couverture contre les risques critiques. La gauche, dans la « grande transformation », c’est le camp qui lutte contre la rente et veut couvrir les individus contre les risques auxquels ils sont exposés tout au long de leur vie. Obama soutient les entreprises numériques parce qu’il voit en elles un moyen de faire tomber les situations de rente héritées de l’économie fordiste. Mais il a aussi le souci, par exemple avec le nouveau système d’assurance-maladie, l’ »Obamacare », de mettre en place une protection sociale plus adaptée aux parcours de carrière de l’économie numérique.

A droite, les rares républicains tournés vers le futur sont, eux, d’accord pour faire jouer la concurrence afin que les entreprises numériques mettent à bas les entreprises vieillissantes ; en revanche ils sont farouchement opposés à l’instauration d’une protection sociale.

Pour moi, le clivage gauche-droite, à l’échelle d’un pays, c’est une question de protection sociale. Or personne n’en parle, pas même Emmanuel Macron. Chaque fois qu’il prend des positions fortes, il est toujours ramené à des débats du passé : il parle des 35 heures, de baisse des charges, de l’impôt sur la fortune, du statut de la fonction publique. Mais ce ne sont pas des débats de grande transformation. Il est temps de les dépasser et de faire enfin preuve d’imagination radicale.

Propos recueillis par Sophie Fay, avec Claire Doisy